19 mai 2014
Meghane est née en 1990, elle travaille comme chargée de communication aux Passagers du Zinc, café-concert situé dans le quartier battant. Elle a co-fondé le projet Tale Of Two Cities en mai 2014.
"Ton premier souvenir de concert ?
Outre les kermesses et les trucs comme ça, le premier truc dont je me souviens, c'était en primaire, en CE2, je devais avoir 9 ans... En 1999 donc.
Et, tiens toi bien, c'était une comédie musicale : Notre Dame de Paris [rires] à Strasbourg.
On aimait ça avec ma meilleure amie, alors nos mères nous ont emmenées là-bas dans la vieille R21 Nevada. Les vedettes de la comédie musicale étaient pas là, c'était juste des doublures ; mon frère en avait fait une colère.
Mes parents sont très branchés littérature, on m'avait donc déjà raconté la version de Victor Hugo, j'avais aimé le spectacle en lui-même, je trouvais ça juste magnifique : les costumes, les lumières, c'était grand, j'étais petite ; tout le monde m'avait filé ses manteaux pour empiler sur mon siège histoire d'être à la bonne hauteur.
Là je me suis dit : "waaah, c'est fou qu'il puisse y avoir autant de monde au même endroit".
Ce que je retiens surtout, c'est l'idée de tout ce petit monde, en bagnole, qui part à l'aventure.
Quand je suis rentrée, j'étais super contente.
Premier concert que tu as apprécié ?
Quand j'étais au collège, on avait déjà des potes qui avaient des groupes. C'était un groupe de merde, qui peut-être existe encore, ça s'appelait Psylow, c'était du gros punk avec plein d'influences, mais surtout du grand n'importe quoi. Je me rappelle avoir vraiment aimé ça, m'être dit "j'adore ce genre de musique où ça se déchaine". J'étais peut-être en quatrième ? Ouais, quelque chose comme quatorze ans...
Premier groupe local qui t'a marqué ?
Je suis arrivée à Besac en 2008, et le premier groupe local qui m'ait marqué, c'était au cylindre, The Irradiates, le seul concert que j'ai vu là-bas, c'était fou. Ils jouaient presque en dernier, c'était en 2009 je pense. Claque, révélation. C'est le premier groupe local devant lequel je me suis dit "putain il se passe un truc ici". J'avais déjà fait des fêtes de la musique, je me rappelle des scènes Mighty Worm et du Bastion, j'avais vu les Welcome to Miami, j'avais vu Tennisoap aussi, où je m'étais dit "pas mal".
Mais là, c'est le premier concert où j'ai payé pour me dire "tiens on va voir ce qu'est le Cylindre, on va voir ce qu'est un concert local". J'avais déjà écouté des trucs genre Black Zombie Procession, Hellbats... mais j'avais encore jamais vu ces types jouer. Donc c'est aussi le premier concert en région qui m'a marqué.
Premier disque local qu'on t'a offert, que tu as acheté, piqué, emprunté, trouvé... ou autre ?
[rires gênés] La première année où je me suis retrouvée à Besac, je sortais avec un batteur qui avait un groupe qui n'existe plus, j'ai eu sa démo, un cd un peu bricolé, ceux dont tu fais une pochette pour la glisser à l'intérieur, ça s'appelait No Hand Suicide (le nom avait rapport avec une histoire de branlette : si tu perdais tes mains, autant te suicider...), punk rock à roulettes, le chanteur avait un anglais pas vraiment compréhensible. Dans l'idée, ça me plaisait bien, inspirations de toute cette scène à la NOFX. Je me souviens d'une chanson qui s'appelait shit in a letter box, en gros, c'était simplement "j'ai chié dans la boîte aux lettres de mon voisin parce que c'est un con", très ricain !
Le concert en région qui t'a le plus marqué ?
La plus grosse claque, là comme ça, je dirais Black Zombie Procession, y'a pas si longtemps aux Passagers du Zinc. Sinon, l'anniversaire de Mighty Worm avec Second Rate, parce que ça synthétisait tous les mecs dont j'écoute les groupes depuis un bon moment... J'avais jamais vu Second Rate, forcément je n'étais pas encore ici, alors ça m'a fait un choc. J'avais écouté par la suite, mais j'ai trouvé ça bien dommage que ça ne continue pas. Tous ces gens que ça ramène au même endroit, à qui ça rappelle énormément de souvenirs, les gens qui bougent, qui ne sont plus là, qui vieillissent, qui ont d'autres envies, tu te dis que c'est peut-être une des dernières fois où tu les verras faire ça ensemble. Maxi-baffe. Ça aurait pu être Noël. Nan, c'était mieux que Noël. Voilà.
Une anecdote à partager ?
Plein ! Mais faut choisir.
Le soir où Findlay a joué aux Passagers Du Zinc en novembre de l'année dernière, dans le cadre du festival GéNéRiQ. Super concert blindé, la chanteuse, raide au Get 27 pur, racontait des trucs incompréhensibles en anglais, parlait de tailles de seins ou un truc du genre. Je ne comprends pas du tout comment ça s'est passé, mais je me suis retrouvé avec ses deux mains sur mes seins et je l'ai entendue me dire "tu mesures quelle taille ? ils sont bien tes seins" Ok. Merci. Je n'avais rien demandé. C'était drôle.
Quand est-ce que tu as commencé à bosser aux passagers du zinc ?
J'y ai débarqué en tant que cliente, pour les concerts d'abord. Fin 2009, début 2010, quand je rentrais du boulot tard et que je passais devant, je m’arrêtais pour un verre. Puis je suis partie à Lyon et ensuite retournée un peu en Haute-Saône, alors des fois, je prenais la voiture pour voir les copines à Besac, et j'allais voir aux PDZ ce qui s'y passait. Un soir où j'ai vomi dans les chiottes, Claire [une des patronnes du bar] m'a proposée d'être bénévole. J'étais au chômage, je me suis dit que ça me permettrait de voir des concerts beaucoup plus souvent, alors j'ai accepté. De fil en aiguille, quand elles ont cherché quelqu'un à embaucher pour s'occuper de la communication, elle m'ont proposé, c'était en 2013. J'apprécie beaucoup ce que je fais, je vois plein de gens qui passent, beaucoup de concerts.
Premier concert organisé ?
De A à Z, je n'ai jamais rien organisé. Mais il y a souvent des groupes qui me demandent de les faire jouer aux Passagers du Zinc. Il y a une date dont je suis fière, j'ai réussi à avoir les trois trucs qui me semblaient intéressants à programmer ensemble, ça a réussi à blinder le bar. En tout, ça avait fait 176 entrées payantes, avec toutes les entrées/sorties, tout le monde n'était bien sûr pas là au même moment. Je me suis dit "tu peux arriver à faire des choses cohérentes, tu peux être capable". Quand on a pas confiance en soi, ça aide de savoir qu'on peut faire des choses.
Le premier concert sur lequel tu aies bossé ?
Aux Pdz, quand on m'a appris à servir des bières. Mais le premier en tant que salariée, c'était le 13 mars, des israéliens qui jouaient par le biais d'un tourneur parisien, Tico de la Rodia nous avait refilé le plan. On m'en a parlé comme d'un truc important, les mecs avaient visiblement plusieurs tournées internationales dans les pattes, joué avec Alicia Keys... En gros, fallait alpaguer les médias, je n'avais que 13 jours pour faire la com'. Il n'y avait pas de première partie, mais on a quand même fait 60 ou 70 entrées, ce qui est plutôt pas mal pour le lieu, sachant que ça n'est pas la tasse de thé du public habitué de la salle. Chance du débutant ou non... Ça a été mon premier et ça s'est bien passé.
Qu'est ce que tu fous là ?
T'es venu me chercher à un moment en me disant que tu avais cette idée-là qui te trottait dans la tête, et je pense que je m'en rappellerai toujours, à moins d'un Alzheimer. J'ai fait des études de photo, tu le savais. Quand tu m'as parlé du projet, je me suis dit que c'était un truc à faire ; on avait parlé de la vie qui passe, des gens qui changent, qui sortent moins, qui ne sont plus là, ces endroits que tu as pu aimer, nos différentes visions de la ville au fil du temps, on n'a pas connu la même ville à quelques années d'écart. Il y avait déjà beaucoup de changements qui s'étaient opérés. Sans parler du tram, même au niveau de l'architecture, la ville bouge ; je dis pas "c'était mieux avant" mais ouais, ça fait un petit pincement au cœur. Je me suis dit qu'il fallait le faire, que c'était important, que ces gens ne soient pas oubliés, que cette scène ne soit pas oubliée, et je n'ai même pas hésité. En deux secondes, c'était : on y va. On ira jusqu'où on pourra aller, mais je trouve ça démentiel. C'est dur de bosser tout seul dans son coin. Je pense que si je ne t'avais pas rencontré, si tu ne m'avais pas rencontrée, si on ne m'avait pas proposée cette idée là, je n'aurais jamais eu le cran de me dire ""moi toute seule, je me lance et je fais ça".
On ne peut pas comparer et dire que le projet me tient plus ou moins à cœur qu'à toi, parce que tu y pensais avant, je pensais à faire un projet différent, mais c'est important. Pour moi, pour toi, voilà... Et j'espère pour d'autres gens.
Ton implication dans la scène locale ?
Une succession de hasards, parfois malheureux, souvent heureux. La première fois où j'ai foutu les pieds au Bastion, ben c’était quand j'allais voir mon mec de l'époque répéter. J'avais déjà entendu parler du lieu, notamment par mon père qui squattait là-bas avec plein de punks quand il était jeune. Je trouvais l'idée de cette structure chouette. Petit à petit, de sorties en sorties, tu rencontres des gens, l'effet papillon.
Si je ne m'étais pas faite larguée, si je n'avais pas été au chômage, je ne serais pas venue boire des canons aux PDZ, je n'aurais pas été bénévole, je n'aurais jamais travaillé là-bas, et qu'est-ce-que je foutrais maintenant ? Je ne sais pas.
Une succession de hasards. Mon implication de base, c'était d'aller voir des concerts. Découvrir de la musique indé. Maintenant, j'essaie de faire en sorte que ça continue d'exister. Si je peux aider un jeune groupe à faire son premier concert, ça me botte, ouais... Donner des moyens à des gens de faire ce qu'ils ont envie de faire, jouer... Que ça vive 6 mois ou que ça vive 30 ans, contribuer à l'accessibilité de la musique. Je n'ai pas envie que les gamins qui n'ont pas forcément accès à la culture, puissent penser que la culture TF1 est la seule alternative. Leur donner envie de faire ça, pas juste vouloir être célèbre, aider à donner les moyens pour faire de la musique avec les potes. Que ce soit peinture, écriture, couture, chant, on n'a pas pas besoin d'une fortune, je veux défendre ça, c'est mon éducation. Aller à l'encontre du "si t'as pas 4000 balles sur ton compte tu seras malheureux toute ta vie".
Tu vois l'avenir comment ?
J'en sais pas grand chose, mon emploi aidé n'ira pas plus loin que 3 ans. Si les filles gardent le bar et veulent me garder, je reste, c'est sûr, si elles vendent, je serai triste, ça me ferait chier. Je voudrais faire des formations dans ce milieu là. Je voudrais bosser là dedans, pas forcément en com', les réseaux sociaux c'est pas mon truc, je préfère le terrain, même coller des affiches, appeler des gens... Du direct. Si quelqu'un rachetait le bar d'ici trois ans, ça me ferait chier d'être foutue dehors. Après ça, j'aimerais avoir un truc à moi, un bar qui proposerait des choses intéressantes, des concerts, des présentations de travaux artistiques, proposer à des gens de se retrouver, de venir dans un lieu. Si je gagnais au loto, un truc sur plusieurs étages avec des chambres. Juste une condition : personne ne s'insulte, je n'aime pas ça. Ou alors pour rire. Je vois au jour le jour. Je ne vois pas plus loin qu'un an. On ne sait jamais, le chômage peut se re-pointer. Mais je me vois pas bouger.
L'avenir de la scène musicale ?
Je souhaite qu'il continue longtemps.
Dans 30 ans ? J'en aurai 54, ça me ferait plaisir si je suis encore de ce monde de savoir que ça existe, même différemment, ça ne sera plus les mêmes. Si les jeunes générations disent "le rock ça me casse les couilles, la scène musicale nous fait chier", que les assos se cassent, ça me foutra un coup. Je peux comprendre ensuite que dans une asso, tu donnes beaucoup de ton temps, que c'est usant. Tant qu'il y aura des gens qui bougent leurs fesses pour ce qu'ils estiment juste, intéressant, important, je ne me fais pas trop de soucis. Je sais pas comment ça va évoluer, j'aimerais que ça dure le plus longtemps possible. Dans l'esprit de toutes ces assos qui cohabitent aujourd'hui. L'envie de proposer des choses différentes.
Le mot de la fin ?
Liens utiles pour comprendre de quoi on a parlé :
Des trucs qui passaient sur la platine de Meghane pendant qu'on papotait :